Amants Héroïques - Prologue (#1)

 


Prologue

Partie 1 - Teddy Altman

*

Marcher dans la rue en sentant peser sur soi le poids d’un regard invisible, il faut croire que c’est une habitude à prendre. Pourtant, même après des années, on ne peut s’empêcher de douter quand on aperçoit une étincelle dans les yeux d’un passant. Est-ce qu’il a vu la vérité ? Est-ce qu’il a percé le masque pour découvrir ce qui se cache dessous ? Est-ce que le secret est révélé ? Chacun porte ses mystères, de la même manière que l’on traîne une croix derrière soi pour expier des crimes parfois imaginaires.

J’ai mes secrets dans la peau – la vraie comme la fausse. Mon sang m’impose la prudence – un sang épais, vert, qui terrifierait la plupart des passants si je venais à me faire tirer dessus en pleine rue. « Ils t’attacheront et feront de toi un rat de laboratoire, car c’est ainsi que ces primates dégénérés fonctionnent ici ». J’ai passé des années à essayer de convaincre Nanny de renoncer à ce racisme, mais rien n’y fait, elle déteste les humains – le soir, je me surprends parfois à me demander si elle a déjà caché des cadavres, et je préfère oublier ces interrogations une fois minuit passé, principalement parce que je connais la réponse et qu’elle me fait froid dans le dos. Evidemment que Nanny a déjà dû faire disparaître des corps, la question est de savoir si ce sont ceux de nos ennemis, ou simplement d’une dame potelée qui l’a fait attendre à la caisse du supermarché.

Je frissonne. Des dizaines de pensées se bousculent dans ma tête. S’ils me trouvent, ils feront pire que de m’attacher à une table pour regarder dans mes entrailles. Ils m’emmèneront là-haut, dans ce ciel étoilé que je contemple à la nuit tombée. Ma vie n’est qu’une misérable petite marchandise prise dans un étau, broyée entre deux plaques qui tantôt se resserrent, tantôt se desserrent, mais j’ai parfois l’impression que mon destin finira par me rattraper. Ils tueront Nanny, et je serais seul face à eux, qu’ils soient Kree ou Skrulls. Les premiers me mettront à mort parce que je suis leur ennemi naturel, issue d’une espèce à laquelle ils font la guerre depuis si longtemps que plus personne ne se souvient de quand elle a débuté ; les seconds – mes compatriotes – viendront pour m’emprisonner ou proclamer une sentence plus violente encore, histoire que je paie pour les crimes d’une famille que je n’ai jamais vue – des pacifistes, à ce que m’en a dit Nanny.

« Tes parents étaient des gens bien, me répétait-elle en me bordant quand j’étais petit, ils ont œuvré pour que la paix règne. Seulement on ne peut pas contraindre deux peuples guerriers à déposer les armes, quand bien même on le souhaite de toutes ses forces. Les Kree les voulaient morts, et les Skrulls aussi, c’est le seul point sur lequel ils sont tombés d’accord, il semblerait. Alors juste avant d’être capturée, ta maman m’a demandé de t’emporter loin des ravages qui consumaient les Empires Galactiques. C’était une femme remarquable, et je regrette qu’elle n’ait pas pu t’élever pour t’éduquer et te transmettre ses valeurs, mais je jure sur nos trois soleils que je ferais en sorte que tu deviennes un homme bien, mon garçon. »

L’histoire de mon exil, je la connais par cœur. Nanny me l’a répétée tant de fois que chaque mot a fini par s’inscrire en lettre de feu dans ma mémoire. Mais de ma famille en revanche, je ne conserve aucun souvenir, pas même un prénom. On ne m’a pas appris la langue de mon univers natal, seulement celle des humains ; le seul mot Skrull qu’on m’ait jamais enseigné me semble tellement imprononçable que je préfère nommer ma nurse par son titre plutôt que de tenter d’écorcher son prénom, pour lequel les consonnes se sont réunies en omettant d’inviter les voyelles à leur orgie.

Depuis mon arrivée sur terre, je n’ai pas connu une once de stabilité. Je suppose que c’est le prix à payer quand on est rien de plus que des exilés politiques. Il s’est rarement écoulé plus de trois ans sans que nous n’ayons à changer d’identité, de maison, et surtout de physique. La métamorphose n’est certes pas douloureuse, et un Skrull sait transformer son apparence comme on enlève un caleçon, mais un corps stable cristallise avec lui une certaine existence, et le remodeler pour devenir un autre, c’est abandonner littéralement une vie derrière soit – des photos et des souvenirs qui n’ont plus aucune valeur quand on se regarde un matin dans le miroir, et que le gosse brun est soudainement devenu blond, ou que le teint basané à cause duquel on vous persécute vous a quitté pour vous laisser plus blanc qu’un cachet d’aspirine.

Ces gens qui marchent autour de moi, s’ils me voyaient sous ma vraie forme, ils crieraient et me fuiraient, terrifiés. Un grand type vert qui les dépasse de plusieurs têtes, c’est déjà effrayant, mais quand il est en mesure d’arracher des pans de bitumes complets, là ça dépasse ce que leurs esprits étriqués peuvent encaisser. Les new-yorkais devraient avoir l’habitude d’en voir, des phénomènes de foire, et pourtant ils ne s’y font pas – le temps des héros est révolu depuis un long moment déjà, nos différences ne sont plus des motifs d’admiration, seulement de crainte. Elles ne font de nous que des monstres aux yeux des péquins moyens, rien de plus. Mutant, aliens, aberrations de la science, expériences gamma, tout pouvoir particulier est un prétexte pour emprisonner, terroriser et faire enfermer la moindre anomalie. Ça les aide à se sentir en sécurité, je suppose – ça et l’immense héliporteur qui survole en permanence leur précieuse ville.

Il est là. Il vrombit et avance, toujours avec la même lenteur, rotation après rotation, tantôt au-dessus de Manhattan, tantôt au-dessus de Greenwich Village ou encore de Hell’s Kitchen. Ses moteurs grondent, on les entend – et pour une fois, on peut les voir. A une époque, à Londres, on a fait l’erreur de croire qu’il n’y en avait pas avec Nanny, mais en réalité, le gros bourdon se cachait à l’aide de panneaux rétro-réfléchissants. Ils permettent aux héliporteurs et aux Quinjets de passer inaperçus – même moi je ne suis pas en mesure d’en faire autant. L’invisibilité, c’est l’une des plus grandes inventions que nous a légué Tony Stark ; il s’est illustré et a péri en tant qu’Iron Man, mais ce sont les armes qu’il a conçues qui lui valent aujourd’hui l’admiration du S.H.I.E.L.D.

Depuis que des extra-terrestres ont déferlé du ciel sur les grandes villes du monde entier, la population ne craint plus que cela, les envahisseurs venus de l’espace. Il y a deux ans, un immense trou de ver s’est ouvert au-dessus de New York ; j’ai d’abord cru qu’ils venaient pour moi, mais Nanny m’a affirmé que le jour où l’armada Kree débarquerait sur terre, ça aurait une toute autre allure, et que quitte à être exterminés, on le serait avec plus de classe. J’en ai frissonné rien que d’y penser. Pour la première fois de ma vie, j’ai dû me battre afin de sauver ma peau, et j’avoue que j’ai apprécié ma cuirasse verte naturellement résistante, qui plus est capable de se régénérer plus rapidement que l’épiderme de ces pauvres humains ; j’ai déchiré ces bêtes répugnantes comme du carton pâte, et le pire, c’est qu’au fond de moi, j’ai adoré ça, parce qu’inconsciemment je savais que ceux que je détruisais ne tueraient personne d’autre.

Ma nurse m’a confié que les Chitauris sont l’une des pires espèces de l’univers, des saletés qui servent de chair à canon, comme les Outriders. Ce sont des créatures difformes, que l’on fabriquait autrefois sur des planètes nourricières ; puis un jour, ils se sont débarrassés de leurs créateurs, mais ils ont continué à proliférer comme de la mauvaise herbe, jusqu’à ce qu’un maître vienne les asservir et décide d’envahir notre planète, je ne sais pas pourquoi. A vrai dire, la plupart des gens ignorent ce qui s’est passé ; on se souvient juste de la panique, des aliens qui tiraient et tentaient d’annihiler toute vie sur terre. Et des héros. Les Avengers, un groupe d’êtres surhumains, avec parmi eux un Asgardien – un alien, comme moi. Sauf que si je me révèle au grand jour, on m’associera plus facilement au monstre vert qui démolit tout sur son passage et semble avoir de graves problèmes d’élocution.

Thor, Iron Man, Captain America, Vision, Black Panther, Giant-Man, la Guêpe, Scarlet Witch, Quicksilver, Hulk, Hawkeye et une panoplie d’autres sont tombés du ciel pour combattre nos ennemis. Ils se sont battus, et ils ont disparu. Le corps de Tony Stark a chuté. Certains prétendent qu’ils l’ont vu passer par le trou de ver. On ne sait ni ce qui l’a tué, ni ce qu’il s’est réellement passé. Une série d’éclairs s’est écrasée sur la tour Stark, une lueur aveuglante a recouvert New York, le vortex s’est refermé, et il n’y avait plus de protecteurs, ni de vengeurs, seulement un corps dans une boîte de conserve.

Après cela, le S.H.I.E.L.D est apparu pour remettre de l’ordre. Ils ont tout nettoyé, placé les vestiges des aliens sous clef pour éviter que des esprits maléfique ne jouent avec, et la population a demandé d’elle-même le renforcement des contrôles de sécurité. Nanny m’a emmené dans une petite ville du Dakota du Sud, simplement pour s’assurer que l’on soit loin de tout et que l’agence de protection mondiale ne nous mette pas la main dessus. Seulement là-bas, j’ai merdé grave : on a failli nous découvrir – et encore, c’est un euphémisme – et il a fallu abandonner notre vie pour tout recommencer ailleurs. Cette fois, j’ai exigé que ce soit dans une grande ville, pour qu’on se fonde dans la masse et qu’on soit moins facilement repérables. Nanny a protesté, mais il est plus facile de tenir sous contrôle un gosse de dix ans qu’un mec de dix-huit, alors je ne lui ai pas laissé le choix.

Nous voilà donc à New York, avec le gros bourdon et ses hommes en noirs qui nous tournent sans arrêt au-dessus. Au moins, si des ennemis débarquent pour me faire la peau, ils devront d’abord en découdre avec les gros calibres de ces messieurs du S.H.I.E.L.D. Pour l’instant, le ciel ne m’est pas tombé sur la tête. Nanny a piraté le service des permis de conduire et le fichier des identités dès notre arrivée, et désormais je suis Théodore Altman, Teddy pour mes amis – si j’arrive à m’en faire. Il m’a aussi fallu une nouvelle apparence, et pour une fois, j’ai abandonné les physiques de garçon passe-partout. Je ne veux plus qu’on me cherche de noises, ou qu’on se dise que j’ai l’air gentil. J’ai réduit ma taille de Skrull juste assez pour que ma carrure ne paraisse pas anormale, mais pour le reste, j’ai décidé de devenir une armoire à glace, avec tout l’attirail qui s’impose – pectoraux, abdominaux, biceps, mâchoire carrée, large menton. Pour les yeux bleus et les cheveux blonds, je me suis inspiré de l’ancienne version, même si j’ai renoncé à la coiffure de premier de la classe pour laisser mes mèches faire ce que bon leur semble sur mon crâne, histoire de me rappeler les champs de blés du Dakota quand je me regarde dans le miroir. Je me suis aussi accroché quelques anneaux aux oreilles, juste pour faire un peu plus métalleux et dissuader des personnes éventuellement mal intentionnées. Une veste en cuir marron râpée, une chemise de bûcheron, un pantalon attrapé au hasard, et me voilà prêt pour mon premier jour dans mon nouveau lycée.

Evidemment, Nanny m’a fait les recommandations habituelles avant que je ne quitte notre appartement du Lower West Side. Ne pas trop parler aux gens, être prudent, me faire accepter dans l’équipe de basket si j’en ai envie mais ne pas tisser des liens avec mes coéquipiers, et surtout éviter les bagarres – encastrer un camarade dans un mur serait une manière un peu trop évidente de signaler ma présence aux autorités compétentes. Et surtout ne jamais perdre mon cadran Xandarien. Je tâte ma poche, il y est toujours, à côté de mon portable. Vu la densité du métal, et son poids, je m’en apercevrai si je le perds. Je n’ai jamais su à quoi il servait précisément, mais Nanny m’a toujours dit que si un jour il venait à s’allumer, je ne devrais pas chercher à la retrouver, grimper immédiatement sur un toit et le brandir le plus haut possible en espérant qu’il opère un miracle avant que nos ennemis – Skrulls ou Kree – ne nous trouvent. Depuis le moment où elle me l’a confié, il ne m’a jamais quitté, et je vis chaque heure avec l’appréhension qu’il ne se mette à chauffer, à émettre une lumière bizarre ou à produire un son inquiétant.

C’est donc avec la peur au ventre que le petit nouveau arrive devant les grilles de son lycée – encore une dernière année et j’atteindrai peut-être les bancs de la fac en un seul morceau. De tous les inconvénients que m’impose ma condition de fugitif, devoir s’intégrer dans une classe en cours d’année est peut-être la pire – non pas parce qu’il faut trouver sa place au sein d’une nouvelle toile sociale éternellement composée des mêmes éléments, dont seule l’identité change d’un lieu à l’autre, mais parce qu’à l’instant où je franchis la porte de la salle de cours, je deviens le centre de l’attention. Tout le monde me voit, tout le monde pense quelque chose en se basant sur une apparence que j’ai fabriqué avec plus ou moins de soin en fonction du temps que j’ai eu pour y réfléchir.

Alors que je marche dans les couloirs, j’entends les battements de mon propre cœur. J’ai peur. J’ai peur parce que des Skrulls veulent me tuer. J’ai peur parce que des Kree veulent me tuer. J’ai peur parce que des humains peuvent me capturer pour me tuer. J’ai peur parce que le cadran dans ma poche pourrait s’allumer, m’informant ainsi que Nanny vient probablement de subir un sort horrible. J’ai peur parce que mes futurs camarades vont me juger. J’ai peur parce qu’il n’y a plus de héros pour me sauver. J’ai peur parce que je porte le plus lourd des secrets et que, venu des étoiles, je ne serais jamais comme les autres.

J’ai peur, voilà ma vie.

*

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