Amants Héroïques - Prologue (#2)



Prologue

Partie 2 - Billy Kaplan

Il fait encore noir dans la chambre. Seule une petite lampe de chevet à la lumière blafarde me permet de voir ce que je fais, en l'occurrence essayer de la soulever le plus possible pour éclairer la pièce. Je n’aime pas cette maison. Elle me rappelle que, justement, je ne me rappelle rien.

Mon plus lointain souvenir remonte à deux ans. Je me suis réveillé dans une ruelle, nu, alors que la ville se faisait envahir par des aliens. Le brouillard dans ma tête rend flou la journée complète. C’est après que les choses sont plus claires. L’hôpital, où de charmantes personnes ont tenté de savoir qui j’étais, sans succès. Selon eux, je suis un amnésique, mais j’ai parfois l’impression que ma vie a réellement débutée le jour où j’ai émergé, à seize ans, car le plus souvent les amnésiques ont des flashs de leur ancienne vie ; or ce n’est pas mon cas.

Qu’est-ce qui a été le plus dur dans tout ça ? Certainement pas l’orphelinat, je n’y suis resté que quelques mois avant qu’une famille vraiment adorable ne m’accueille. Le plus dur n’était certainement pas de n’avoir qu’un prénom, William, diminué en Billy, mais plutôt de découvrir que j’étais encore plus différent que je le pensais. 

Ça a commencé à l’orphelinat, justement. Un grand crétin s’amusait à transformer  les nouveaux venus en punching-ball. Dix-huit ans, un visage à faire fuir le diable sur un corps de taureau, il avait passé sa vie entière dans ce trou à rats. Quand il a voulu s’en prendre à moi, dans ma chambre, en pleine nuit, il a été surpris. Bien évidemment, le lendemain, malgré les marques sur mon visage prouvant bien que je devais être le dernier à l’avoir vu, je n’ai pas été accusé de sa mort. Qui pouvait accuser un pauvre adolescent maigrichon et amnésique d’un tel décès ? Ça a bien évidemment fait les gros titres des journaux, avant que l’affaire ne se tasse. Mais j’ai gardé l’exemplaire pour me souvenir de ce dont je suis capable - pour me souvenir de comment, après m’avoir mis deux coups de poings dans le ventre, puis une gifle qui m’a marqué la joue, et un coup de boule qui m’a ouvert la pommette, il m’a traîné dans sa chambre.

C’était son domaine, où il ne se rendait accompagné que pour “jouer” un peu plus longtemps. Quand il a sorti le couteau pour “graver un souvenir sur mon front”, j’ai fermé les yeux et mis mes mains devant moi pour essayer de repousser le couteau. Qui ne m’a jamais frôlé. Pas plus qu’il ne m’a touché, lui. J’ai eu la sensation que la peur s’est transmise dans tout mon corps, puis plus rien. N’entendant plus que ma respiration, j’ai ouvert les yeux. Les siens étaient clôts, fumants, brûlés. Ses mains noircies également, cloquées, alors que la lame rougeoyante était à moitié fondue. Alors j’ai su que je n’étais pas un garçon comme les autres.

D’abord effrayé, j’ai essayé de faire taire ce sentiment de puissance qui m’avait étreint cette nuit-là. Mais à la moindre peur, à la moindre colère, mes pouvoirs se manifestaient, une énergie qui me traversait de part en part, me laissant une sensation de fourmillements dans les doigts. Plus j’essayais de les retenir et plus mes coups de colères étaient puissants, comme la fois où le surveillant général, un Gargamel nous détestant autant que le sorcier déteste les bonhommes bleus, a voulu nous faire manger un bouillon horrible, restes des déchets de viande du boucher situé une rue plus loin. La marmite s’est renversée sur lui, et lui a écrasé les pieds. Il n’a pas été blessé, mais j’ai pris conscience que, plutôt que de les laisser sortir involontairement sans contrôle, il fallait que je sache m’en servir.

Mes premières tentatives furent pitoyables, à se demander si c’était vraiment moi qui avais occasionné la mort de mon camarade. Je n’arrivais même pas à soulever une cuillère ! Toutes les nuits je me suis entraîné, découvrant que je ne possédais pas simplement des aptitudes télékinésiques. Un soir, alors que ladite cuillère tombait encore une fois sur le parquet, la porte s’est ouverte. Le “nouveau” chef des brutes me regardait, goguenard. Jusqu’à l’instant où il a aperçu  cette espèce de brume bleu qui entourait mes mains. Je ne sais pas ce qui m’a pris, je lui ai foncé dessus et j’ai posé un doigt sur sa tempe, en lui ordonnant de ne rien dire. Son regard s’est vidé, il est parti, et moi j’ai  eu peur, une fois de plus.

J’ai continué à expérimenter mes pouvoirs dans l’intimité de ma chambre, déplaçant les objets, jetant de petits éclairs - ce qui m’a poussé à éviter d’avoir trop d’appareils électriques dans mon espace de jeu pour éviter de les griller - jusqu’à ce que l’on m’adopte.

A partir de là, on pourrait dire que ça a été le paradis. Mes “parents” m’ont donné un vrai nom, William “Billy” Kaplan, me faisant me sentir un peu plus complet. Et j’ai pu aller dans un vrai lycée, pas la zone de non-droit dans laquelle j’étudiais jusqu’ici. Le seul point négatif, à part mes pouvoirs, ça a été de découvrir que c’était plutôt le même sexe qui m’attirait. Encore un choc. Pas pour moi, puisque j’ai décidé de m’assumer. Je ne comprends pas le regard qui m’est tombé dessus. Mis à l’écart, je me suis habitué, me renfermant même à la maison, jouant avec cette cuillère, finissant par la tordre, l’étirer, pour  toujours lui redonner sa forme initiale. Puis j’ai joué avec plus gros. La lampe, l’armoire, la commode ont été mes compagnons de jeux, ainsi que les livres que je n’ai pas arrêté de dévorer. Seul, je ne le suis jamais. Je vis des aventures dans mes rêves, puisés dans ces histoires qui défilent sous mes yeux. Un jour, peut-être qu’un enfant comme moi lira la mienne ? Car, comme les héros de ces histoires, j’ai des pouvoirs.

– Billy, mon chéri, il faut te lever, tu vas être en retard à l’école !

– Oui maman !

Je repose silencieusement la lampe et ouvre la porte. Je me dirige vers la salle de bain, histoire de me rafraîchir. Je regarde ainsi une fois de plus le jeune homme brun aux yeux marron, les pointes humides. Je me sèche rapidement et retourne dans la chambre chercher un t-shirt et un pull. Tiens, si je mettais celui-là ce matin “Alien lover” ? J’enfile les vêtements et descends déjeuner avant de rater le bus. Pas que ça me dérangerait, mais je ne veux pas que mes parents soient trop à mon service; ils m’aiment et me soutiennent, je ne peux pas non plus leur demander tous les jours de m’emmener. J’avale rapidement mon bol de lait, ma tartine, et file dès que mes dents sont brossées. Il s’en est fallu de peu que le véhicule jaune ne me passe sous le nez, sous les moqueries de grands imbéciles qui me servent de camarades. Encore une merveilleuse journée en perspective.

J’hésite presque à aller me cacher au fond de la bibliothèque plutôt que de me rendre en cours, mais je pense à mes parents, alors je m’arrête devant mon casier en esquivant les coups d’épaules dans la cohue, garde le nécessaire dans mon sac et vais dans la salle pour attendre Mr Goldsmear, notre professeur d’anglais - un homme très sympathique mais qui a la mauvaise habitude d’endormir ses étudiants. Je me pose sur mon sac au fond de la classe, ignorant les bavardages, les racontars, les moqueries, et même la voix du prof.

– Un peu d’attention s’il vous plaît, nous avons un nouvel élève. Comment t'appelles-tu ?

– Teddy Altman.

– Très bien Teddy, choisis une place, et nous allons ensuite pouvoir continuer le cours.

J’entends distinctement la chaise à ma gauche qui bouge et l’élève s’y assoit. Je suis surpris, de toutes les places disponibles dans la classe il a fallu qu’il vienne à côté de moi. Premier contact humain en plus d’un an, mais j’ai peur que mes capacités sociales ne se soient émoussées avec le temps. Mes yeux papillonnent en direction de son regard incroyablement  bleu. Je rougis immédiatement. Allez savoir pourquoi, je sens qu’il a peur, ça se voit sur son visage, même si ce n’est pas un sentiment que tout le monde peut décrypter. A-t-il peur de moi ? une armoire à glace pareille ? Sûrement pas ! Ma gorge se serre, on ne se connaît pas, je vais bientôt redevenir un inconnu dans la foule, seul avec moi-même. Je repose ma tête sur mon sac et ferme les yeux pour empêcher des larmes de couler.

– Salut, ça va ? Tu t’appelles comment ?

J’halète et essaye de reprendre une respiration qui ne soit pas saccadée pour lui répondre. Je relève la tête vers lui, évite ses yeux en me fixant sur la chemise à carreaux qui cache un corps probablement sculpté.

– Oui ça va. Moi c’est Billy.

– Enchanté Billy. Mais tu es sûr que ça va ?

Sa grande main se pose sur mon épaule et je frissonne. 

– Oui, ne t’en fais pas Teddy.

Mais bien sûr que ça va. Après tout, quand tu sauras ce que je suis, tu fuiras comme les autres...

* * *

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