Amour Courtois

 


Amour courtois



Oyez, Oyez, gentes Dames, Seigneurs, jouvencelles et jouvenceaux. Laissez-moi vous conter une Fable d’amour comme on n’en fait plus aujourd’hui, qui réchauffe le cœur et fait rire.



Il y a fort longtemps, dans son castel vermeil, vivait le beau, le vrai, le merveilleux Prince Soleil. Ce surnom, qui à ses cheveux était dû, valait mieux que celui que la naissance lui avait échu : auriez-vous aimé, vous, que l’on vous nomme Nunuche? C’est fort peu probable… Mais dans ces anciens temps, le choix du nom ne revenait pas aux parents; c’était aux fées, porteuses de Dons, que revenait cette fonction. Hors de question donc d’offenser ses marraines, et qu’au lieu de merveilles, dans votre vie il y ait des malédictions !



Pour compenser ce désagrément, le Roi et la Reine firent de leur enfant un petit Prince choyé. Et s’il était trop gâté, il restait toujours charmant, partageur, gentil. C’est pourquoi il était aimé de tous ses gens, notamment son commis. A la fois valet et ami, ayant grandis ensemble, du Prince ou de son servant, nul n’aurait pu dire qui était le plus comblé; un maître par tant d’aspects si bons, qui ne serait prêt à le servir avec dévotion?



Les bonnes fées, quant à elles, se penchèrent aussi à la naissance sur le berceau de ce fils du commun. Avaient-elles quelques faveurs en trop, ou étaient-elles de belle humeur? Nés le même jour, les deux bambins mirent en tout cas un sourire ému sur tous les visages. Bénis par les marraines, Ronducul, tel qu’il fut nommé, devint aux côtés du blond Prince un jeune homme roux vivace. Leur présence illuminait le chasteau, des cuisines aux donjons, car ils partageaient tout autant le goût de la cuisine, que de la lecture ou des potions. Le vieil enchanteur était ravi d’avoir, pour changer, deux élèves forts attentifs, sages et appliqués.



Ainsi grandirent les deux garçons, l’un du peuple, l’autre majesté, mais sans grande différence. Le jeune Ronducul savait garder son rang, même s’il aimait profondément son Prince. Nunuche, quant à lui, tenait à son servant comme à un frère, son fidèle confident, et ils n’allaient nulle part l’un sans l’autre. Rares étaient les fois où Nunuche ne suivait pas son valet dans quelque tâche ingrate qu’il devait accomplir ! Tout comme le jeune Prince n’allait jamais aux festins et aux bals sans son acolyte, vêtus tous deux des plus beaux atours royaux - et malgré les réprimandes, Nunuche continuait à considérer son Ronducul comme son égal, le sang n’étant bleu qu’à travers la peau.



Le Roi et la Reine finirent même par accepter officieusement cette adoption; que n’auraient-ils fait pour le bonheur de leur enfant? Qui plus est, serviteurs zélés, la barbière-perruquière et son mari le maître-pigeonnier fréquentaient souvent la haute noblesse dont ils étaient les petites mains indispensables. Tout comme le rouquin à son blondinet.



Personne ne fut surpris, lorsqu’à sa majorité, Nunuche voulut partir en quête, et c’est naturellement accompagné de Ronducul, qui n’allait pas quitter son maître. Un beau matin donc, leurs chevaux harnachés, les cheveux au vent, ils partirent sous le soleil, galopant. Quel était leur but? Je ne saurais le dire : suivre sa destinée veut parfois dire prendre une décision insensée.



Nos deux compères partirent d’abord en direction du bois des Fées. Charmants et fringants, tous deux avaient l’air de jeunes majestés, l’un chevalier flamboyant, l’autre chevalier servant, romantique à souhait. La populace qu’ils croisèrent tomba en pâmoison : s’ils avaient fait un concours, l’un aurait pu compter les sabres qui se levaient, l’autre les culottes qui mouillaient. Mais tout innocents qu’ils étaient, ils n’y prêtaient pas attention; leurs jeunes corps virils ne connaissaient pas les vices de la chair, et la seule intimité qu’ils avaient expérimenté était celle de garçons câlins. Seul l’enchanteur les surprenait parfois, enlacés, cachés dans un recoin de la bibliothèque, à lire l’un après l’autre les volumes entreposés tout en sirotant une boisson préparée avec soin par le rouquin.



Les deux cavaliers, dans leur légère armure de cuir, arrivèrent bientôt dans les bois frais. Ils profitèrent gaiement d’une petite rivière pour désaltérer leur monture, l’un un frison blanc de la plus belle allure, l’autre un magnifique étalon brun. Ils profitèrent également, puisque distant de toute civilisation, de laisser libre cours à leur besoin de tendresse. Un champ de fleurs fut tout indiqué pour finir en roulé-boulé, et profiter de la liberté ainsi que du chaud soleil estival.



S’ils restèrent tout habillé, leur posture semblait sans équivoque pour ceux qui les surprirent : montés sur de grand alezans, un jeune homme à l’allure princière accompagné d’un chevalier tout armuré leur cria de se redresser, une troupe de crétins “bénis” s’approchait. Les regards acérés des deux hommes, où une pointe de vice et de sensualité transparaissait, fit rougir les deux innocents qui remontèrent promptement en selle. Là, ils remercièrent les deux inconnus, qui à eux se présentèrent :



Je suis le Prince Chatollini, fils de Charles Beaudelaine, Duc de Chatonbrillant, et voici mon acolyte, Durduchibre, chevalier de Sifrède.



Ils furent interrompus par une trentaine de gens en robe de bure grise. Assurément la compagnie de croyants que Chatollini et Durduchibre avaient croisée. Tant de belles gens en ces lieux, cela sembla perturber la congrégation de moines, à l’étendard haut dressé : une planète sur laquelle veillait deux figures enlacées. Mais ils continuèrent leur route, gardiens d’une Relique, solidement enchâssée dans un coffre lourdement enchaîné.



Les jeunes gens quittèrent la route et s’enfoncèrent dans les bois pour éviter le nuage de poussière que la troupe avait soulevé. Ils suivirent un chemin de lutins, marqué par les autels aux fées - des champignons fort appétissants qui se révèlent plus qu’enivrants, mais qui perturbent l’esprit : plus d’un sorcier s’y était fait prendre.



Ils tenaient leur monture par la bride et évitaient les branches basses qui masquaient le chemin. De la jeune forêt de hêtres, ils passèrent à une de pins, puis de verts et feuillus chênes centenaires. L’air, aussi délicieux qu’il fût, était emprunt de magie primaire; il vibrait, la lumière étincelait, plus d’une fleur semblait changer de couleur au rythme des battements du coeur des bois. Silencieux, plein d'humilité, les jeunes gens avançaient. Ils avaient l’impression de découvrir un nouveau monde, où la magie était reine, de jour comme de nuit.



Soudain une trouée aveuglante apparut. L’air bourdonnait : là, dans la clairière, des milliers de papillons, bourdons, abeilles et autres butineurs acharnés s’affairaient dans les fleurs étalées à perte de vue. Quel incroyable tour de magie ! Une forêt de quelques lieux pour les humains s’avérait être un pays entier pour leurs propriétaires ! Soudain perdus, les compagnons tinrent conseil. Devaient-ils avancer, ou retourner en arrière ? Demander la bénédiction et l’aide des fées revenait assurément à vivre une aventure à elle seule…



Mais alors qu’ils devisaient, le jeune Ronducul eut le regard attiré par Durduchibre. Le sourire de ce dernier en disait long sur ses intentions, pour quelqu’un d’averti. Déception : le minet était aussi innocent et pur que les étranges Perce-Neige d’été à leurs pieds. Enfin, pas totalement, car lorsque son regard suivit la direction du grand chevalier brun, il découvrit une partie de la cuirasse drôlement conçue qui se soulevait. Il baissa aussitôt le regard, rouge comme un coquelicot. Pour échapper à toute pensée interdite, il observa les papillons; là, il eut l’illumination. Dans le pays des farfadets et lutins en tout genre, il ne fallait pas chercher les fées sous une forme et une taille humaine, mais selon la description qu’en font les légendes ! Et soudain ils les virent, tantôt aux ailes de lépidoptère bariolés, tantôt de libellules cristallines. Elles les entourèrent, chantèrent leurs louanges, s’extasiant de leur beauté. Car les enfants touchés par les fées partagent leur grâce, tel est leur premier don.



Tous trois écoutaient un interlocuteur différent, qui murmuraient des prédictions, des conseils, des solutions. Les petites voix s’emmêlaient, s’envolaient, jusqu’à ce que, répondant à un signal invisible qu’elles seules entendaient, les fées s’éparpillent. Dans la lande, il ne resta plus que les mellifères. Alors, ils prirent le trajet inverse, pendant que, dans leur dos, le soleil déclinait et partageait la douce chaleur de ses derniers rayons.



Ils discutèrent de ce qu’ils avaient écouté. S’ils avaient tous entendus des choses différentes, ils se mirent d’accord sur l’objet de leur quête : une plante à l’allure délicieuse, qui apporterait de grands bonheurs au royaume. Selon plusieurs petites fées, ils devaient unir leur force pour réussir leur quête; une autre disait d’apprendre à se connaître; une autre encore que la vraie vie n’était pas que de chevalerie et de prince, mais d’amour et de tendresse, et qu’il fallait pour cela trouver la bonne personne. Et tout un tas de mises en garde, comme de nombreux jeunes gens n’avaient cure. Ils tachèrent cependant de se les remémorer car il ne fallait jamais sous-estimer les fées.



La nuit tomba subitement, alors ils s’arrêtèrent. Les branchages qui absorbaient la lumière de la lune cachaient leur route. Ils se groupèrent pour se tenir chaud, la nuit apportait sa fraîcheur et une humidité à laquelle ils n’étaient plus habitués. Et avant qu’ils s’en rendent compte, ils avaient tous rejoint le pays des rêves.



En s’éveillant sous une lumière chlorophyllienne, ils remarquèrent immédiatement qu’ils étaient tous enlacés, mais particulièrement imbriqués deux à deux. Ils se relevèrent promptement, du moins Nunuche et son valet; jamais ils n’avaient profité d’un contact avec un autre ! Etrange, mais ô combien délicieuse découverte. Pour effacer son trouble, le blond Prince proposa d’aller chercher les chevaux, suivi de son noble camarade. Dès qu’ils furent seuls, les serviteurs se rapprochèrent. Si le brun commença à faire semblant de demander de l’aide pour accrocher son armure, il s’avéra rapidement qu’il avait une tout autre idée : ses paumes lachèrent boucles et cotte de maille pour saisir les brioches du bien nommé Ronducul, tandis qu’il écrasait ses lèvres sur celle du rouquin.



Il ne cessa ce premier contact que lorsque les buissons s’écartèrent pour laisser passer les têtes couronnées. Mais si seulement deux possédaient réellement une couronne, tous avaient à ce moment un sceptre dressé. Par chance, le temps qu’ils retrouvent la route, leur sabre n’allait pas gêner à la chevauchée !



Il filèrent par monts et par vaux, ne s’arrêtèrent dans les villages que pour se réapprovisionner et demander si un quelconque paysan avait entendu parler d’une plante bénéfique. Ils ne voulaient être vus, chaque nuit enlacés. Le blond et son acolyrte roux ne savaient en effet si cela était autorisé, toutes les histoires lues ne faisaient que mentions d’amours de gens de sexe différent…



Ils allèrent loin à l’Est, rencontrèrent d’autres cultures, des peuples à la couleur et à la langue différente. Dans leurs sacs de voyages, ils ramenèrent des épices qui rendaient gouteux de nombreux plats, et permettaient bruts en supplément tour à tour de donner de l’énergie, faire éternuer, soigner des maladies. Tous ceux qu’ils rencontraient étaient aussi curieux qu’eux au sujet du monde qu’ils découvraient, et ils finirent par trouver des moyens de se faire comprendre de façon universelle : leurs quelques connaissances en magie permis de conter, par des dessins de feu et de fumée, leur périple à travers le continent.



Leur petit tour amusa beaucoup un étrange mage enturbanné qui avait pour passion de montrer son invulnérabilité à l’aide d’objets contondants. Durduchibre ne manqua pas de murmurer à son désormais valet rapproché qu’il lui entrerait bien un sabre dans un endroit intime… S’il rougit, le rouquin paru intéressé, à la plus grande surprise de Nunuche; comment en effet résister à la langueur du Sirène, tandis qu’en bon Prince Charmant, le blond attendait sagement. Assurément, il découvrirait à son tour un autre univers de câlins plus charnels une fois un peu plus seuls… En attendant, l’Oriental leur demanda de lui apprendre cette magie. En échange de quoi, il leur raconta l’histoire d’une étrange plante à la longue tige, aux feuilles semblables à des cœurs striés. Gardées par un immense serpent aux yeux mortels et aux crocs empoisonnés, ces plantes avaient la particularité, disait-il, d’apaiser toute personne dans la pièce où elle se trouvait - une vertu parmi tant d’autres.



Pour les trouver, rien de plus simple : il fallait suivre, après avoir trouvé un temple ancien taillé dans la roche, la direction donnée par une drôle de gargouille à tête de lion. Lorsque l’on entendait des sifflements, le nid était proche. Et en effet, nos aventuriers n’eurent aucun mal à trouver l’étrange caverne, à-demi éclairée par l’astre diurne, dans laquelle poussait la belle plante. Ils détournèrent rapidement les yeux, contrairement à l’un de leur cheval : un éclat jaune fut la dernière vision de la pauvre bête, alors qu’un serpent vert titanesque sortait du trou. Ses yeux fermés, il se confondait facilement avec le feuillage de l’étrange fougère, alors qu’il pouvait probablement enserrer les plus hautes tours du château royal.



Cependant, ces reptiles n’utilisent pas leur vue, mais un odorat très développé, et l’odeur appétissante des hommes et des bêtes attira son attention. Incroyablement rapide malgré sa taille et son poids, la bête sans pattes les rattrapa aisément. Le sorcier étranger s’arrêta subitement, à la grande surprise des quatre garçons qui continuèrent leur course. S’ils furent sauvés par ce premier plat de résistance servi au reptile, ils comprirent en voyant le bouclier rutilant de Durduchibre : le reflet de la bête avait dû miroiter dessus, et au lieu de tuer le magicien, il en avait été figé. Comment donc allaient-ils pouvoir défaire un ennemi qu’ils ne pouvaient regarder sous peine de mort? Il fallait une solution promptement, car le serpent ne semblait pas vouloir se contenter d’un demi-festin, son sifflement glissait rapidement entre les lianes.



Ils tirèrent au sort quel cheval serait sacrifié pour tenter de survivre. Lorsqu’on est dans une impasse, face à la mort, l’on trouve toujours des tas de solutions. Sur l’idée du rouquin, ils grimpèrent chacun dans des arbres, qui avec son arc, qui avec des cailloux, et lorsque l’affreuse bête arriva, ils firent feu de toutes leurs armes. Heureusement pour eux, même sans trop regarder, l’un d’entre eux avait été béni par les fées et possédait une visée parfaite : si tous les projectiles ricochèrent sur la peau du serpent, le blond Nunuche lui creva les yeux. Furieux, l’immense serpent se jeta sur les arbres où ils s’étaient perchés et les renversa. Sa gueule béante, aux crochets venimeux, tomba sur Ronducul le premier, qui esquiva de peu la morsure. Durduchibre s’était jeté, bouclier levé, afin de protéger son amant. Les crocs ripèrent sur le métal, et alors que l’attaquant et l’attaqué étaient sonnés, Chatollini attrapa sa lance et l’enfonça d’abord dans la gueule encore béante du serpent, puis à travers la tête via les yeux sanglants.



L’animal s’écroula. Ils se regardèrent, soulagés, et s’attendaient presque à découvrir l’un d’eux blessé. Mais comme l’avaient prédit les fées, leurs forces mises en commun, ils sortaient vainqueurs du combat. Ils ne fêtèrent cependant pas leur victoire, conscient que leur guide mort leur avait sauvé la vie.



Ils prirent les plus petits spécimens à ramener, et veillèrent à les ramener intacts, abrités des conditions diverses du trajet. Mais, chance innée ou due à la plante, ils ne furent pas interrompus dans leur progression comme à l’aller. Ils revinrent à leur point de départ et furent reçus triomphants, d’abord aux Portes de la Gretane, fief de Beaudelaine en Chatonbrillant, puis auprès des Verts Bois Mornands, fief du Prince Soleil, côte-à-côte et proches des fées.



Tous félicitèrent les princes et leurs acolytes, et s’ils remarquèrent leur rapprochement, ils n’en dirent rien. Si les rois et reines des deux contrées acceptaient, il n’y avait pas de raison de s’en offusquer. Ainsi, des deux royaumes, par leurs épousailles devinrent un : point besoin de jugement, tout un chacun accepta qu’ils vivent de leur vit amoureux. Avait-on jamais vu couples mieux accordés?



De plus, au mariage, les marraines invitées promirent qu’après trois années, viendraient des nouveaux-nés pour continuer la lignée de ces belles plantes enchantées. Ainsi, ils vécurent heureux encore et leurs enfants après.


***

 

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