Aux origines du monde
Aux origines du monde
Au commencement, il n'y avait que lui et moi. Enlacés dans les immenses ténèbres, nous passions notre temps à dormir. Puis nous avons eu envie d'autre chose.
Voir les yeux brillants et multicolores de mon divin amant me donna envie de créer de la lumière. Alors vinrent les étoiles, jaunes et rouges, blanches et bleues. De cette étincelle créatrice vint l'envie de plus, comme un enfant qui améliore son château de sable. J'avais envie de voir d'autres créations, de toutes les couleurs, alors il forma des planètes.
À partir de là, ce fut comme un jeu, à qui créerait la plus belle. Gazeuse, glacée, rocheuse, plus ou moins proche des étoiles, elles évoluaient sans que l'on ne l'ait prévu. L'une de mes créations fondit ainsi et s'assécha, pour former une terre rougeâtre et brûlée. Je ne m'avouais pas vaincu et cherchais la place idéale, celle où la glace deviendrait de l'eau, mais sans s'évaporer.
Je n'y serais pas parvenu sans lui. Après trois essais qui commençaient à m'agacer - au point que je fis exploser certaines de nos créations, engendrant une ceinture d'astéroïdes autour de mon jouet - il enveloppa d'un film invisible une planète qu'il me laissa placer à l’endroit de mon choix. Fort de mes expériences, je la plaçais en deçà de la ligne inerte. J'étais satisfait, l'eau se formait selon mes envies, et lors d'un acte charnel avec Tamathos, notre union et l’énergie dégagée formèrent des créatures vivantes; plutôt difformes il est vrai, et composées principalement d'eau et de terre, mais c'était une nouveauté passionnante.
Cependant, nos ébats réguliers avaient mis ces petits mondes en mouvements, ils se mettaient à tourner, respectant des lois physiques de gravité selon leur taille et leur densité. Ma petite planète rouge pleine de vie se fit anéantir par les nombreuses comètes qui émanaient de la ceinture d'astéroïdes. Elle en était trop proche. Il fallait tout recommencer !
Nous prîmes alors une taille plus modeste afin de ne pas bousculer le mouvement qui s'était instauré, et continuâmes à former nos aires de jeu. Je ne sais pourquoi je restais si obsédé, étriqué, comme cloîtré dans mon minuscule espace de jeu alors que mon délicieux époux s'amusait tant à créer des mondes à la chaîne. Mais il était si doué, si prolifique, que je voulais à mon tour créer un bijou de toute beauté, et le placer là, au confin de la galaxie que nous avions formée. Nous plaçâmes une couche protectrice invisible plus épaisse afin de la protéger d'éventuels cailloux cosmiques.
Je le voyais sortir de terre de drôles de créatures vivantes, dont certaines me plurent, et que je prenais afin de les intégrer à ma petite planète. Je réussissais à y maintenir la vie, entre déserts et forêts, comprenant doucement que pour avoir un maximum de couleurs, il ne fallait pas un immense continent, mais séparer les terres, et y faire couler des veines bleutées. Mon sang avait particulièrement d'effets sur les corps immobiles, qui se développaient bien plus vite que les créatures courtaudes, qui elles, devenaient violentes. Sous mes mains, elles se dévoraient entre elles, saccagaient les nids plein d’oeufs des nouvelles générations, et mettaient mon monde à rude épreuve pour y maintenir l'ordre que je voulais voir. Je décidais donc de les éradiquer. Et tant pis pour mes gros lézards que j'aimais tant.
– Damalien, regarde ce que j'ai pour toi!
Je restais ébahi et ressentais une fois de plus de la jalousie. Il avait créé les plus beaux végétaux qui soit, fleuris, colorés, odorant. Voyant mon trouble, il me montra comment les former, couvrit mon monde de champs et de forêts. Il m'expliqua comment le mouvement des planètes allait même influer sur leur forme au fil des saisons. Malgré l'envie de le remercier lorsque je vis les arbres prendre une teinte dorée ou de feu, en hommage à la couleur de mes longs cheveux, juste avant la saison froide qui apportait neige et glaces, je ne pus m'empêcher de pleurer : il était tellement plus doué que moi! Je voyais déjà ses planètes habitées prospérer, leurs habitants de toute forme et de toute couleur se multiplier, dans des végétations luxuriantes toutes aussi originales et différentes les une des autres.
– Ne pleure pas mon Amour, viens avec moi sur ta planète, je vais t'aider à former des choses.
J'acquiesçai et nous nous rendîmes au bord d'un lac nouvellement formé. La glaise était particulièrement malléable du fait de mes larmes, et il commença à créer des animaux magnifiques, qui n'avaient rien à voir avec les lézards patauds. J'essayais de faire aussi bien que lui, mais je n'avais pas son imagination. Mes "enfants" restaient écailleux, tandis que les siens avaient tantôt des poils, tantôt des plumes, ou bien encore des carapaces et des exosquelettes… Il changea le mode de reproduction en ajoutant même des différences entre les individus “mâle” et “femelle”, et quand je lui demandais ce qui se passerait si deux individus du même sexe copulaient, il me répondit que ça n’avait pas d’importance, même s’il n’y aurait donc pas de descendance, puisqu’il fallait que deux individus de sexe différent donnent un peu d’eux. Je lui fis alors remarquer qu’il n’avait pas du tout formé le même système sur les plantes, mais il ignora ma remarque. Il créait de minuscules bestioles, m'assurant qu'elles avaient un rôle essentiel dans le nettoyage de ce que les grands faisaient, ou même mes forêts que j'aimais tant. Car tout ce que nous formions n'était pas comme nous, immuables et éternels.
Avec le temps, je m’améliorai, conseillé par mon cher et tendre. La chitine remplaça les écailles, qui elle-même fut remplacée par du cuir, certe épais, mais plus souple. Je réussis à former des pattes mobiles, avec des coussinets, griffes rétractables - j’avais déjà posé un modèle primitif sur certains lézards chasseurs que nous avions fait disparaître. Mon amant aux cheveux sombres comme la nuit mêlée de rayons solaires avait beau me féliciter, je ne me trouvais pas à la hauteur. Il avait un talent inné de création, c’était indéniable, quant à moi je n’étais doué qu’à créer des choses brutes et puissantes.
J’eus soudain l’envie de créer une forme de vie qui serait supérieure à toute autre. M’inspirant de ce qui fut plus tard appelé dauphin, et créé par Tamathos, je formais les béluga; sur ses requins, j’en fis involontairement des marteaux; et suivant son exemple de créatures utiles à l’écosystème, hyènes, corbeaux, et autres créatures nécrophages. J’avais beau tout faire pour rendre le plus joli possible ma planète, sans Tamathos, elle aurait vite ressemblé à un bestiaire de l’horreur. Tout ce que je formais était utile, ou encore résistant, mais tout aussi jolie qu’elle soit, une nepenthes reste carnivore, une ronce impénétrable, et une araignée effrayante. Je crois que c’est pour cela qu’il amena un pantin à la forme de primate, dont il avait peuplé mes forêts chéries. L’essentiel était déjà tracé, les bras plus longs que les jambes, les mains aux doigts préhensibles. Il me le donnait, que j'accomplisse ma magie.
Je décidais d’allonger ses jambes, pour ne pas qu’il ait à se déplacer avec les bras au sol : ils pouvaient ainsi servir à autre chose. J’eus aussi envie d’agrandir les dents, pour percer la peau épaisse des animaux et se nourrir. Mais ce n’était pas tout, je voulais faire d’autres améliorations. Patient, Tamathos me laissa leur mettre des oreilles pointues, des ailes, ou encore les agrandir tant qu’ils dépassaient de hauts arbres. Il m’engagea aussi à les faire plus simplement, à notre image, tout en ajoutant comme toujours la différence mâle/femelle. Il corrigea gentiment mes “brouillons”, préférant voir une grande variété de formes et couleurs dans l’espèce, plutôt que le mélange de nuances que nous possédions lui et moi.
Rapidement, nous vîmes ces dernières créations s’améliorer, se regrouper, se défendre, et même attaquer mes chefs d’oeuvres plus dangereux. Pour ne pas qu’ils disparaissent totalement, en dehors des bouches de ces peuples dont nous comprenions toutes les langues qui se créaient, nous prélevâmes et congelâmes deux individus de chaque type, comme le faisait Tamathos avec chacune de ses créations, conservées au confin de notre Univers. Et parmis ces espèces les plus pacifiques et aptes à vivre en communauté, nous créâmes des planètes lointaines, afin qu’elles vivent en paix, loin de la menace que nous avions involontairement formée.
Car oui, cette espèce, par sa multitude de ressources et son intelligence, évoluait rapidement. Mes gros lézards, que j’avais tant aimé, n’avaient pas changé en plusieurs millions d’années; là, en quelques dizaines de millénaires, il s'étaient adaptés plus que n’importe laquelle de nos création, et dominé les autres en supplément. J’avais beau former des monstres - hydre, kraken, minotaure, dragons - ou changer drastiquement les conditions climatiques, la seule chose qui résistait à cette espèce était elle-même. Au point qu’elle engendra des guerres sur sa propre population, chose que nous n’avions vu que sur certaines de mes créations, également grégaires.
Le plus étrange cependant était les motifs de conflits. Contrairement aux animaux qui se battent pour la nourriture ou un territoire, ou encore pour une compagne, ils se battaient pour leur propre création, et ce dont nos animaux n’avaient cure - des minerais brillants, des religions (car ils croyaient en un ou des dieux, mais pas en nous), voire même pour gagner plus sur un système imaginaire qu’ils avaient créé. Leur vie s’allongeait aussi, car ils veillaient sur leur groupe et développaient des moyens de se guérir.
Toutes ces raisons et d’autres faisaient que Tamathos et moi ne savions pas s’il fallait les détruire et recommencer une nouvelle planète et éviter de former une espèce dominante, ou les laisser gangrener ma petite planète jusqu'à se répandre dans ma galaxie. Surtout, nous étions fatigués. Fatigués de notre long éveil, de nos créations, de notre immortalité. Après plus de quatre milliards d’années, sans compter notre période de sommeil dans le vide, il devenait lassant d’être tout-puissant, surtout avec personne d’autre que nous pour avoir conscience de notre présence. Notre existence, malgré la forme que nous voyons l’un de l’autre, n’était pas dans un domaine visible aux yeux de nos créations. Tout au plus avaient-ils conscience d’une force supérieure.
Traverser les états n’était pas impossible, nous l’avions fait plusieurs fois, notamment pour changer de taille et être plus proche de nos jouets. Mais pour arriver au stade d’énergie physique, de matière organique, il fallait laisser de côté un certain nombre de privilèges, à commencer par la capacité de changer cette fameuse matière. J’étais aussi certain qu’abandonner notre forme “divine” ne pouvait se faire en un seul morceau. Dans ce cas, était-il possible de venir dans le(s) monde(s) dont nous étions les créateurs, et d’en modifier le cours, afin d’apporter une paix et une continuité bien supérieure à celle que nous avions pu constater ? Il fallait en tout cas le tenter, car notre impossibilité à retourner dans le Grand Sommeil, la solitude malgré notre couple, et l’ennui, allaient nous faire tourner dingue. Nous savions tous deux de quoi j’étais capable, moi, l’Archonte de la Mort et de la Destruction, heureusement balancé par la Vie et l’Amour.
C’est ainsi que nous choisîmes de tenter de guider les Hommes. Éviter qu’ils se laissent aller à leur folie.
Dans le cas où notre perte de statut de divinité se fasse en même temps que celui de notre mémoire, nous formâmes le plus complexe des sortilèges : quel que soit le nombre de parties en lesquelles nous serions scindés, nos âmes se retrouveraient pour se rapprocher, pour s’aimer jusqu’à la fin des temps. Là, nous nous retrouverions, à nouveau fusionnés; mais la fin de notre Univers n'était pas prévu avant longtemps encore.
– Damalien, viens dans mes bras.
J’obtempérai. Nos lèvres se trouvèrent pour la dernière fois sous cette forme. Notre union jeta le sort, alors que l’on remontait le temps. Pour guider les hommes, il fallait les retrouver au commencement de leurs pérégrinations et de leur développement.
Ma dernière pensée, alors que mon énergie se scindait en deux parties, que je chutais à travers l’atmosphère entouré de feu, et que je voyais Tamathos dans le même état, fus que nous aurions dû créer un sanctuaire ou bien un livre de la connaissance avec une trace de nos souvenirs. Sinon, comment retrouver notre mission?
Mais il était déjà trop tard.
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